Paru dans "La Liberté" du mardi 14 avril 2020

Nos maisons sont aussi devenues lieux de travail, écoles et salles de sport. Comment s’y retrouver?

Aurélie Lebreau

Autant rapetisser votre salon pendant queleus semaines, histoire que vos enfants aient la palce de ce défouler, sinon... ©Allen Taylor/Unsplash

Intérieur » Votre quotidien ressemble désormais à une guerre de territoires? C’est à qui s’installera en premier dans le bureau, à qui prendra possession de la table de la cuisine, à qui mettra la main sur l’ordinateur familial et à qui parviendra à s’enfermer dans la chambre pour passer un appel? Votre maison, votre rempart contre la pandémie, votre cocon, vous vous surprenez à avoir envie de le vomir, tant tout vous semble soudainement exigu, mal agencé, désordonné, envahi? L’architecte d’intérieur Juliette de Charrière qui possède un bureau à Fribourg esquisse quelques pistes pour que vous conserviez calme et harmonie à la maison.

En temps de pandémie, quelles nouvelles attributions reçoit notre foyer?

Juliette de Charrière: Notre intérieur, déjà très important en temps normal, revêt depuis quelques semaines des notions très fortes. S’il a normalement la fonction de refuge, désormais il devient un sanctuaire, un nid, un cocon.

Pour autant, il nous sort parfois par les yeux, forcés que nous sommes d’y passer énormément de temps…

Effectivement. Car nos habitats ne sont pas conçus pour que nous y soyons tous ensemble 24 heures sur 24!

Que faire, alors?

Il me semble primordial de libérer des espaces, d’aérer les pièces communes, d’autant plus si l’on a des enfants. Comme nous ne pouvons pas beaucoup sortir, élargir notre périmètre vital est important. Et cela est possible même dans un petit appartement. Il ne faut pas hésiter à déplacer les meubles, quitte à rompre l’équilibre auquel nous sommes habitués. De toute façon, ce n’est pas dans les jours à venir que nous accueillerons huit personnes dans notre salle à manger! Si l’on possède une table avec une rallonge, on l’enlève, quitte à l’utiliser pour créer un minibureau ailleurs si l’on a deux tréteaux à la cave. Et l’on resserre le coin salon.

Le resserrer dans quel but?

Tous les membres de la famille doivent dresser une liste de leurs besoins, même si cela s’annonce corsé. En y incluant les horaires de télétravail des parents, les moments d’école des enfants, leurs plages pour se défouler ou regarder un dessin animé au salon sans être dérangés eux non plus, l’heure de yoga de la maman. Cet inventaire servira à créer des espaces définis dans le temps. Je m’explique: la cuisine est une cuisine jusqu’à ce que le petit déjeuner soit débarrassé, puis elle devient le bureau du père jusqu’à 11 h 30. L’après-midi, cet espace sera peut-être le lieu où les enfants vont bricoler. Et dans le fameux salon resserré, ils pourront faire de la gym avec leurs parents ou danser, ou dresser une cabane qui restera en place le temps du confinement. C’est une histoire de compromis et de respect des espaces-temps de chacun.

En fait notre intérieur changera ainsi de fonction au gré de nos besoins…

Il s’agit, durant cette phase chamboulée, de recréer notre monde en plus petit. Je dors dans ma chambre, je travaille à la salle à manger, je fais du sport au salon. Et je me déplace de deux mètres au lieu de passer 20 minutes dans le bus ou dans ma voiture entre chacune de ces différentes activités…

«Je me déplace de deux mètres au lieu de passer 20 minutes dans le bus»

Juliette de Charrière

Dans ce grand maelström, les moments d’intimité et d’isolement ont quasiment disparu… Les parents doivent-il mettre le cap sur leur chambre, qu’ils n’occupent normalement que la nuit?

La chambre à coucher constitue encore un petit espace intime, et dans la mesure du possible je pense qu’il est sain de le conserver comme tel. Si nous passons la journée sur notre lit à travailler et téléphoner puis à y dormir la nuit venue, nous allons vite devenir fous. Cela dit, beaucoup de parents n’ont malheureusement pas d’autre choix que d’installer un bureau dans leur chambre. Si nous ne pouvons pas faire autrement, alors procédons à quelques aménagements: disposons un couvre-lit sur le lit, histoire de bien différencier les espaces de jour et de nuit et, dans la mesure du possible, orientons notre table près de la fenêtre, de façon à ne pas voir notre lit en permanence!

On ne va pas faire de miracles, mais on peut se montrer ingénieux, c’est ça?

Oui, il faut s’autoriser à se montrer créatif et oser ne pas se brider. On peut se créer un bon coin lecture – très important en ce moment pour de nombreuses personnes – avec une chaise-longue ou un pliant confortable installé au salon ou dans notre chambre, si c’est le seul endroit calme de la maison, et si possible dos à la lumière pour obtenir le meilleur éclairage possible. L’esthétique en prendra peut-être un petit coup, mais cette situation ne va pas durer! On peut tourner un canapé pour dégager une nouvelle aire de circulation. Quitte à tout rechanger dans deux semaines…


Nappes, photos et autres trucs…

Définir clairement des espaces-temps pour chaque occupant d’un logement, telle est la clé d’une bonne (et intense) cohabitation. Si l’on ne va pas abattre des cloisons ces jours prochains (encore que, ça en défoulerait certains), l’architecte d’intérieur Juliette de Charrière propose quelques conseils malins. Outre le fait de déplacer des meubles pour gagner de la place, il ne faut pas hésiter à retirer des bibelots. «Si l’on veut obtenir un espace fluide, il faut commencer par être trop rigoureux, trop carré, car il est tellement facile de laisser le bazar se réinstaller ensuite», sourit-elle. Et si l’on possède une bibliothèque proche de la table à désormais manger, travailler, bricoler, dégageons quelques rayonnages pour permettre à chacun de ranger ses affaires une fois son activité terminée. Quant aux livres retirés, on les cache dans un carton, sous un lit. Ni vu, ni connu. «Et toujours par rapport à cette fameuse table, il ne faut pas hésiter à varier son allure selon ce qu’on y fait. Quand les enfants y dessinent, on la recouvre d’une nappe plastifiée. Quand on mange, on met des sets. Quand les parents s’y installent avec leur ordinateur, on laisse le plateau nu et peut-être qu’on rajoutera un ou deux objets, une petite lampe, un sous-main, pour renforcer l’aspect bureau. «Il s’agit de créer des rituels», avance l’architecte d’intérieur.

Enfin dans cette période émotionnellement très lourde, Juliette de Charrière propose de réserver un petit espace aux personnes que l’on aime et que l’on ne peut pas voir . «Piquer des photos sur un miroir ou les coller sur un carton avec les enfants et l’accrocher à la place d’un tableau, cela peut nous apaiser en un coup d’œil.» AL